Dans les temps anciens
Le souci éthique dans l’acquisition de nouvelles connaissances médicales est certainement ancien ; il est cependant difficile d’en trouver des traces signifiantes pour nous, tant les représentations sur la place de l’individu au sein de la société ont évolué au fil des siècles.
A l’époque alexandrine (323 à 30 avant JV),
la réalisation de la vivisection chez des condamnés à mort s’était développée. Celse l’a plus tard condamnée, non pas parce qu’elle était contraire à l’éthique mais parce que les observations manquaient de valeur :
- « Rien n’est plus absurde que de penser que chez un homme mourant, à plus forte raison chez un homme déjà mort, tout est comme lorsqu’il vivait. […] Aussi le résultat obtenu par le médecin est-il d’assassiner cruellement un homme, non point de savoir comment sont nos viscères quand nous sommes en vie. » (Celse, De Medicina, Prooemium, 40-46).
Au X° siècle,
Abû-Bakr Mohammad B. Zakariyya AR-RÂZÎ a écrit :
- "Ne te hâte pas d’utiliser un traitement douteux avant que tu ne saches quel est son degré de nuisance au cas où il fassse mal, s’il est probable qu’il réussisse et qu’en outre tu sois contraint de l’utiliser,sinon délaisse-le." Guide du médecin nomade, vers 900.
Ce texte remarquable témoigne d’une précaution dans l’utilisation chez l’homme d’un nouveau traitement ; il préfigure de façon saisissante la démarche moderne de développement des médicaments.
A l’époque moderne : fin XIX° - début du XX° siècle
Pasteur
Louis PASTEUR, chimiste de profession, a développé de nombreux travaux de grande valeur dans différents domaines qui l’ont conduit à découvrir en cristallographie l’isomérie , à expliquer en biologie le phénomène de fermentation et à découvrir les deux modes de vie que sont l’aérobiose (vie dépendante de l’oxygène) et l’anaérobiose (vie sans oxygène), à découvrir que la chaleur permettait d’empêcher le vin de tourner en vinaigre (grave problème pour la marine de guerre de Napoléon III !).
Ayant trouvé de nombreux arguments contre la théorie de la génération spontanée, il reprend, argumente et développe en 1878 les recommandations faites 30 ans plus tôt par un obstétricien de Budapest, Philippe Ignace SEMMELWEIS, qui prônait le lavage des mains pour prévenir les fièvres puerpérales (septicémies après un accouchement) en y ajoutant le conseil de chauffer les instruments et les linges : "Si j’avais l’honneur d’être chirurgien […], je n’emploierais que de la charpie, des bandelettes, des éponges préalablement exposées à un air porté à la température de 130 à 150°C. Je n’emploierais jamais qu’une eau qui aurait subi la température de 110 à 120°C…" ; les années suivantes, il identifiera trois premières espèces de bactéries : le streptocoque, le staphylocoque et le pneumocoque.
Après avoir réussi en 1880 à vacciner des poules contre le choléra, avec un microorganisme artificiellement "vieilli" (atténué), il s’attaque à la prévention de la rage et réussit à prévenir la maladie chez le chien. Louis PASTEUR se pose alors la question du passage de l’expérimentation animale à l’utilisation chez l’homme.
En 1884, il adresse une requête à l’empereur du Brésil qu’i savait être passionné par le progrès des sciences, pour pouvoir expérimenter le vaccin chez des condamnés à mort, leur offrant en cela une occasion de se racheter auprès de la société. Cette lettre n’aura pas de suite.
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Moins d’un an plus tard, le 6 juillet 1885, deux alsaciens mordus par un chien se présentent à son laboratoire, rue d’Ulm à Paris ; après en avoir débattu le jour même à l’Académie des Sciences et avoir demandé l’avis de deux médecins sur le risque encouru par ces personnes, Louis PASTEUR décide d’inoculer son vaccin à Joseph MEISTER, âgé de 9 ans. Celui-ci guérit, et la renommée de ce traitement est immédiate.
Le 1er mars 1886, Louis PASTEUR rendra compte de ses résultats dans une communication à l’Académie des Sciences.
Au regard des conceptions de ce début du XXI° siècle, le processus de développement et de preuve de l’intérêt de ce vaccin chez l’homme nous paraît aujourd’hui bien fragile, le raisonnement et le souci éthiques bien frustes.
- voir sur ce sujet : Louis Pasteur et la révolution pastorienne, par Grégoire MOUTEL.
Pierre Charles Bongrand
Quelques années plus tard, en 1905, un jeune médecin bordelais soutenait une thèse de doctorat en médecine intitulée : L’expérimentation sur l’homme, sa valeur scientifique et sa légitimité.
Ce travail d’une rare qualité était prémonitoire ; il pointe en effet :
- la nécessité des recherches que l’on appellera plus tard sans bénéfice individuel direct ;
- le problème éthique qu’elles posent : "le sacrifice de l’individu à la collectivité" ;
- l’exigence de rigueur scientifique "pour en limiter le nombre" ;
- les dangers liés au secret de ces expériences, à l’absence de cadre législatif ;
- l’intérêt d’un contrat et d’un consentement préalable.
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voir la conclusion de cette thèse.
C’est 83 ans plus tard que la France se dotera d’une loi qui instaurera entre autres le principe du consentement libre, exprès et éclairé. Mais entre temps, la folie des hommes allait se déchaîner…